"2999-3049" fut publié en 2021 sous le nom de Thomas Ternoise.
Il est toujours disponible en papier à 16 euros et en numérique à 3 euros 99 sur Accès au livre sur Amazon.
Lecture du premier chapitre par Ternoise :
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Extrait écrit :
Sur notre planète aux robots dévoués, à la reconnaissance vocale généralisée, on estime qu’un tiers des adultes français maîtrisaient la lecture. Bien qu’elle fût enseignée durant la scolarité, obligatoire et gratuite jusqu’à douze ans, faute d’utilisation, elle s’oubliait rapidement. Encouragées à se divertir, les basses classes s’abreuvaient des propos conseillés par les programmes, ainsi l’idée d’étudier leur passait rarement par la tête. La culture constituait un secteur des distractions.
« À quoi bon s’embrouiller le cerveau quand il suffit de questionner Globalnet ? » Ne nous leurrons pas : la technologie extraordinaire n’était pas au service de tous mais permettait à une minorité de conserver les secteurs clés, stratégiques. Le déterminisme social n’avait jamais atteint un tel niveau. Les pauvres choisissaient les rêves de richesse pour se donner l’illusion d’une double vie.
Même si l’impact de ce flyer fut restreint par l’illettrisme et la désorganisation, il fut considérable. Dès son deuxième message, notre astucieux communiquant conseillerait des lectures publiques suivies de débats, devenues de mémorables séances de plébiscites.
La décision du Président d’abolir la propriété individuelle a suscité de nombreux commentaires, des controverses. Des colères également, chez ceux persuadés que son rôle, son devoir, restait de la protéger, envers et contre tout, contre tous, quoi qu’il arrive. Comment l’homme de la France d’en haut, la grande fortune toujours du côté des intérêts des plus aisés, les aidant à accaparer jusqu’aux miettes des besogneux, amplifiant encore la pression sur les déclassés, a-t-il pu prendre une telle décision ?
Nous ne pouvons lui dénier une profonde capacité d’entendement. Quand il n’y a qu’une solution, inutile de tergiverser, de la repousser, et il savait la prendre, même si elle lui répugnait viscéralement.
Les pauvres constituaient pour lui « une autre espèce. » Il ne pouvait pas les comprendre car ne voulait surtout pas les voir. Pourtant il a su, dans ce message très pédagogique, les considérer comme ses frères.
Il s’agit de la première catastrophe où les riches furent proportionnellement les plus décimés. Une conséquence directe du mode de fonctionnement. Dans les bureaux, par exemple, souvent l’élite se réservait les ascenseurs, et leur domaine, par tradition le dernier étage d’une majestueuse tour, offrait tous les conforts, air conditionné véritable, douches... Le tout s’ouvrant et se fermant par commandes émises de leur puce.
Les subalternes utilisaient alors les escaliers, leurs plateaux restaient ouverts. Rappelez-vous que nul ne pouvait se rendre à un endroit sans y être autorisé par le propriétaire. Accorder l’accès des ascenseurs aux employés était considéré comme un grand acte humaniste, un peu désuet et ridicule. Ils ont des jambes, qu’ils marchent ! Les climatiseurs de ces petites mains se limitaient "parfois" à une ventilation dont les filtres à particules constituaient des passoires, quand ils n’étaient pas totalement déchirés. Si l’espérance de vie des riches dépassait de presque deux décennies celle des déclassés, ce jour-là leurs privilèges furent fatals.
En abolissant une propriété individuelle de toute manière devenue impossible à gérer, le grand rusé réussissait un coup de maître. Les pays qui l’ont maintenue n’ont pu éviter les bains de sang de batailles d’appropriation.
L’homme qui se souciait des pauvres comme de son premier cactus, se positionnait en « père du peuple. » Fin stratège, notre autocrate a compris la nécessité d’être aimé du plus grand nombre. Et même vénéré. Qu’il était redevenu un tyran à l’ancienne, fragile, devant distribuer dans toutes les couches de la société des privilèges à ses relais, pour ainsi pouvoir compter à chaque strate sur des femmes et des hommes plus soucieux de sa sécurité que de la leur, disposés à se sacrifier pour stopper toute velléité d’attentat, prompts à dénoncer à la moindre suspicion. Dans sa jeunesse, le fils aîné d’Aurélien le 32ème avait rédigé une thèse, « du maintien de la stabilité sociale dans le monde d’avant » où il explorait les différents types de gouvernements quand l’absence de géolocalisation et de contrôle du respect des limites autorisées rendaient dangereuse la promiscuité. Naturellement, cette contribution fut un succès éditorial, glorifiée par les critiques littéraires, conseillée en une par l’ensemble des plateformes de vente du droit de lecture.
De toute manière, que restait-il de la valeur de logements devenus inaccessibles ou inhabitables ? Quant aux gros propriétaires terriens, ils résidaient le plus souvent en ville, passant sur leurs terres uniquement quelques jours de distractions. Ceux qui y sont retournés, personne ne les a délogés, même s’ils ont dû accepter l’arrivée de citadins. Les plus malchanceux sont tombés sur un potentat dont la famille avait conservé d’anciennes armes, ils furent réduits à un véritable esclavage, condamnés à un travail de bagnards en contrepartie d’une maigre pitance et d’un logement spartiate. Nous éprouvons encore de vives inquiétudes pour la vie quotidienne en certains territoires. Les zones de non droit, nous les avons identifiées, appelées à rentrer dans le giron de la loi commune. L’utilisation de la force me dérange, plutôt convaincre que vaincre, mais l’armée remplira sa mission si nécessaire.
Il ne s’agissait donc pas d’une « rupture idéologique » mais d’une prompte assimilation de la « nouvelle donne. » Une continuité, l’éternelle manipulation. N’oublions pas qu’il avait été élu par les plus pauvres et réélu après avoir encore réussi à les affaiblir, les appauvrir, les réifier. Ainsi, depuis sa consécration, l’espérance de vie des plus riches avait augmenté de vingt-huit mois et celle du troupeau baissé de treize. Ces chiffres n’étaient naturellement pas divulgués dans les médias, où l’accroissement continuel de cette espérance était martelé, mais le maître s’en délectait, comme lors de l’université d’été du CMM, huit jours seulement avant le jeudi noir, où il fut acclamé, « l’homme qui sait défendre nos intérêts, notre santé, et préparer l’avenir. »
Il n’était que vice-président du CMM France, monsieur Arno le trentième le devançant toujours allégrement. Nous n’avons depuis obtenu aucune nouvelle de cette famille dont le fils aîné témoignait d’ambitions également politiques, ayant annoncé sa candidature à la mairie de Paris en 3001.